Qui devrait prendre le leadership de l’innovation ?
Une cocréation de Michel Dionne, Claude Émond et Charlotte Goudreault
Est-ce la R&D, le marketing, les RH ou la direction ? La question se pose.
La R&D ?
Traditionnellement, l’innovation de produits incombait à la R&D, sous l’angle du développement de produits. Du moins, c’est l’interprétation limitée qu’on se faisait de l’innovation. Plus récemment, le concept d’agilité est venu bousculer la donne.
D’abord, il s’est inscrit dans les ornières traditionnelles pour tenter d’accélérer le développement et d’en réduire le coût. L’agilité suivant le Manifeste Agile était vue comme une méthodologie de développement. Puis, plus près de nous, l’agilité fut perçue comme une culture d’entreprise qui doit se transformer dans ses valeurs et conséquemment dans son mode de gouvernance.
Dès lors, la R&D n’est plus le seul artisan de l’innovation mais doit partager la démarche avec l’ensemble de l’organisation. Est-elle prête pour ce faire ?
Permettez-moi d’en douter, puisque son horizon a toujours été limité à la production. À l’échelle individuelle, cependant, la R&D ne devrait pas offrir beaucoup de résistance, puisque la perspective d’essais et d’apprentissages découlant du droit à l’erreur rencontre ses convictions et sa pratique.
Le marketing, alors ?
Ce qui différencie une invention d’une innovation, c’est son adoption et plus précisément sa commercialisation fructueuse. C’est là une préoccupation innée pour le marketing et les ventes. Bien qu’il s’agisse d’une fonction d’entreprise en effervescence, bousculée par Internet et la mobilité, ses préoccupations de rendement à court terme pourraient disqualifier le marketing pour initier et gérer le changement.
Ne concluons pas trop vite, toutefois. Le marketing a souvent été le relais des besoins des clients auprès de la R&D. Il s’ensuit qu’il a une perspective en amont et en aval du client, de la R&D jusqu’au service après-vente. Toutefois, force nous est de constater que la réputation et l’influence du marketing au sein des organisations sont aléatoires. Des échecs commerciaux antérieurs ont pu grever sa crédibilité.
Qui plus est, des préjugés persistants à l’égard des ventes et des vendeurs peuvent miner leurs initiatives. Dans la mesure où un cadre responsable du marketing prendrait l’initiative de la transformation d’entreprise, il pourrait fort bien obtenir l’aval de ses collègues afin de migrer d’une profitabilité à court terme vers la pérennité à long terme.
Et les RH, là-dedans ?
Elles se définissent comme des partenaires d’affaires. Leurs tâches sont bien définies suivant des processus relativement stricts. Leurs attributions englobent souvent la formation alors que la motivation du personnel demeure une préoccupation générale. Lorsqu’on y regarde de près, la transformation d’entreprise pour qu’elle soit innovante constitue une véritable révolution culturelle au sein des organisations.
Tôt ou tard, les RH seront interpelées et impliquées. Peuvent-elles prendre l’initiative du changement et en être le catalyseur ? Tout à fait ! Deux conditions doivent cependant être réunies.
Elles doivent d’abord avoir l’audace de « brasser la cage » et de sortir de leur zone de confort. Ensuite, bien qu’elles soient en position staff dans l’organisation, elles doivent obtenir l’appui indéfectible de la haute direction en partageant avec elle une vision renouvelée de leur rôle.
De la gestion des ressources humaines au même titre que les ressources matérielles, financières et techniques, elles doivent muter vers une vision de la gestion des relations humaines qui place l’humain au cœur des organisations.
Et finalement, la direction ?
Elle est incontournable. Cependant, on doit distinguer la haute direction des cadres intermédiaires. Ces derniers vont réaliser assez rapidement qu’ils sont menacés. L’autonomie des collaboracteurs (SIC) peut réduire leur rôle traditionnel à une peau de chagrin. Leur transformation en leaders charismatiques et inspirants place la barrière à un niveau inatteignable. La perspective d’un leadership collectif bien qu’éprouvante à première vue peut s’avérer libératrice.
Or, vous ne serez pas surpris d’imaginer que la résistance au changement risque de venir d’eux, et qu’au fil des ans, ils ont développé une habilité à faire chavirer les projets auxquels ils s’opposent sans l’avouer. Reste la haute direction qui peut seule exprimer une volonté de transformer l’entreprise. On ne lui demande pas de conduire le changement, mais plutôt d’en être le facilitateur afin d’écarter les embûches qui ne manqueront pas de se poser sur la route menant à l’entreprise innovante.
Cette volonté doit être l’expression d’une conviction acquise à la faveur de lectures, de conférences et de formations afin de réaliser que le statuquo n’est plus viable.
L’innovation : c’est l’affaire de tous !
L’initiative de l’innovation peut en fait venir de n’importe où à l’intérieur de l’organisation, même de la finance, de l’informatique ou de la production. C’est une question de prise de conscience qui peut émerger de partout. En matière de coleadership, on pourrait parler de leadership d’initiative. Le leadership « intentionnel » (Intentional Leadership) doit, quant à lui, provenir de la haute direction.
C’est la fondation sans laquelle une culture d’innovation intégrale ne peut émerger ni durer. Cette intention claire doublée d’un leadership transformationnel est essentielle au déploiement de la culture d’innovation intégrale. Donc, le leadership de conception et d’exécution doit être distribué à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, alors que le leadership d’intention appartient à la haute direction.
Rien ne peut débuter sans cette intention claire et sa prise en charge par la haute direction, couplée à un leadership transformationnel se déployant de la haute direction vers toutes les fonctions de l’entreprise, déploiement supporté par des projets de développement organisationnel initiés avec une fonction RH « relationnelle » plutôt que « transactionnelle ».
Une cocréation de Michel Dionne, Claude Émond et Charlotte Goudreault
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